Au Venezuela, l’hypothèse d’une sortie par le haut de la crise politique s’éloigne de nouveau
Le Conseil National électoral a fini par valider la majorité des signatures pour un referendum révocatoire à l’encontre du président Nicolas Maduro. Mais ce dernier a balayé samedi toute tenue de ce referendum en 2016. Retour à la case départ dans un contexte de pénurie et de pillages de plus en plus explosif. Il n’y aura pas de referendum révocatoire au Venezuela en 2016. Ce samedi 11 juin, le président Nicolas Maduro a fermé la porte à cette hypothèse qui aurait sans doute permis de relâcher un peu la tension très forte actuellement dans le pays. Pourtant, le Conseil National électoral (CNE) avait, en début de semaine, validé enfin, à contrecoeur, la majorité des 1,8 million de signatures déposées par l’opposition depuis début mai. De quoi enclencher un processus certes très long (200 000 des signataires doivent confirmer leur choix en personne et laisser leurs avec empreintes digitales, avant une phase de vérification qui durera au moins jusqu’au 23 juillet. Ensuite, quatre millions de signatures devront être réunies en trois jours pour que le référendum puisse se tenir. Ce dernier aboutira à la révocation de Nicolas Maduro si le nombre de voix récoltées est supérieur à celui qu’il a obtenu lors de son élection en 2013, soit 7,5 millions. Un score important mais qui, vu le contexte de crise actuel, parait accessible. C’est en tout cas l’objectif affiché de l’opposition réunie au sein de la MUD (Table de l’Unité démocratique) depuis qu’elle est devenue, après les élections de décembre dernier, très majoritaire à l’Assemblée Nationale avec 112 députés sur 167, ont 40 pour le parti Primero Justicia du leader social démocrate Henrique Capriles. Mais c’est aussi une course contre la montre qu’a engagé la MUD puisque, selon la Constitution, si Nicolas Maduro perd le référendum en 2016, une élection présidentielle sera organisée. Alors que s’il le perd après le 10 janvier 2017, il sera simplement remplacé par son vice-président Aristóbulo Istúriz, tout aussi chaviste que lui, et ce jusqu’à la fin de son mandat en 2019. « Il n’y aura pas de chantage. Si les conditions pour un référendum révocatoire sont réunies, il aura lieu l’année prochaine et c’est tout. Si elles ne sont pas réunies, il n’y aura pas de référendum et c’est tout. » a déclaré le chef d’État à la télévision. Des propos qui risquent de déclencher de nouvelles manifestations violentes et violemment réprimées même si, de plus en plus, les Vénézuéliens sont accaparés par la rigueur de leur vie quotidienne, marquée par les pénuries de tous les produits de première nécessité, y compris des aliments de base comme le riz ou le lait, et même les médicaments. Les files d’attente devant des magasins se forment à l’aube, les pillages se développent, les lynchages aussi même si la majorité de ces mises à mort publiques de présumés voleurs sont impunies. Tentatives de médiations L’exaspération et la colère de la population sont telles (70% souhaitent le départ de Maduro) que les pays voisins s’inquiètent et ont tenté des médiations, au pire très mal reçues par Caracas, comme celle de l’OEA (Organisation des Etats Américains, dont les Etats-Unis, honnis par les chavistes, font partie) ou, au mieux ignorées comme celles de l’Unasur (Union des nations sudaméricaines). L’OEA doit se réunir le 23 juin pour une session extraordinaire sur le sujet ; le Chili, l’Argentine et l’Uruguay restent attentifs ; même le pape suivrait le dossier de près, selon la sociologue vénézuélienne Mercedes Vivas. «Le Pape François est très actif, il s’appuie sur des jésuites vénézuéliens de son état major mais aussi, sur place, sur le nonce apostolique et consulte les leaders de la région, y compris le président équatorien Rafael Correa, proche des chavistes, pour tenter de construire une médiation». Même si, pour le moment, Maduro a refusé une entrevue avec l’émissaire du pape. Le bras de fer entre, d’une part, une opposition disparate (union sacrée antichaviste allant de la droite à la gauche) et, d’autre part, un gouvernement obsédé par un complot impérialiste, qui a imposé l’état d’exception et contrôle la Banque Centrale, le CNE, les milices, l’armée et le Tribunal supérieur de Justice (ce qui lui permet de nier la légitimité de l’Assemblée nationale et de gouverner par décrets), peut dégénérer à tout moment. Face à la montée de la température, Henrique Capriles a interpellé l’armée, lui demandant de choisir entre Maduro et la Constitution. Jusqu’à présent, les militaires restent fidèles au pouvoir, mais quelques voix discordantes commencent à se faire entendre.
Le malheur du Venezuela est certes en partie liée au pétrole. Détenteur des premières réserves mondiales de brut qui représentent plus de 95% de ses exportations et de ses ressources en devises, le pays a pris de plein fouet la chute des cours depuis deux ans. Vu l’état désastreux de la compagnie pétrolière nationale PDVSA et le coût d’extraction de son pétrole lourd de l’Orénoque, il en est réduit depuis 18 mois à acheter du brut à l’ennemi américain. Or, jusqu’au retournement de la conjoncture, les recettes mirifiques du pétrole ont financé les nombreuses missions (santé, logement, alimentaire, éducation…) mises en place par l’ancien président décédé, Hugo Chavez, qui ont dans un premier temps indiscutablement permis aux plus pauvres de sortir de la misère. Mais la révolution bolivarienne de Chavez n’a pas su construire sur cette base favorable un avenir du pays moins dépendant de sa matière première. Pas de construction d’un véritable appareil productif (le pays a toujours dû importer du carburant faute de capacités suffisantes de raffinage) ni encore moins de diversification de l’industrie ; sous-investissement chronique ; pas de rénovation d’une agriculture jadis prospère et aujourd’hui réduite à néant. Au contraire, la manne pétrolière dont le pouvoir a disposé en direct, a généré une corruption inquiétante. Et le retournement des cours laisse le pays exsangue et privé de devises, alors qu’il doit importer la quasi totalité de ses besoins alimentaires .«Le Venezuela a toujours dépendu du pétrole. Mais il a, pendant une période, été autosuffisant en produits alimentaires», rappelle René Fregosi, directrice de recherche en science politique à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle (1). En 2004, Le pays produisait encore 75% de sa consommation alimentaire. «Chavez a exproprié plus de 8000 entreprises et mis en place un système clientéliste et incohérent », dénonce-t-elle. Mais le leader bolivarien a bénéficié d’une conjoncture économique exceptionnelle, mais aussi d’un charisme et d’un sens politique hors pairs, qui lui garantissaient un fort soutien populaire. Toutes choses dont son dauphin Nicolas Maduro est totalement dépourvu. Plus de 700% d’inflation en 2016 Depuis deux ans, le Venezuela s’enfonce à grande vitesse dans la récession (-7% en 2015, -8% attendus cette année) et dans l’hyperinflation (720% en 2016 prévoit le FMI). Faute de devises, les entreprises ne peuvent plus importer matériel et matières premières et se mettent à l’arrêt (celui de la brasserie Polar a été très médiatisé). Le pays faisant en outre face à une période de sécheresse aiguë liée au phénomène El Niño, qui pénalise la production de son principal barrage hydroélectrique, Guri , l’électricité est rationnée et les administrations n’ouvrent souvent plus que deux jours par semaine. Le déficit public atteint 20% du PIB et nombre de Cassandre s’attendent à ce que le pays fasse défaut avant la fin de l’année. En février, Maduro a dû prendre des mesures d’urgence, dont une dévaluation de près de 60% du bolivar et, véritable révolution au pays de l’essence quasi gratuite, une hausse spectaculaire du prix du carburant (le prix du super 95 passant par exemple de 0,01 à 0,95 bolivar le litre), celui-ci restant tout de même le moins cher du monde. Cependant, ni ces mesures, ni les réquisitions d’entreprises, ni le soutien de la Chine (qui a prêté quelque 20 milliards d’euros à Caracas en 2015), ni même la légère remontée des cours du brut ne semblent à ce jour suffisants pour tirer le pays du marasme. Pour cela, il faut d’abord sortir de l’impasse politique. Et nul ne sait aujourd’hui comment procéder, même si Renée Fregosi estime que l’Amérique d’Obama, si elle parvient à opérer un rapprochement avec Maduro, « détient l’une des clés pour y parvenir ». (1)Dont le dernier livre « Les nouveaux autoritaires. Justiciers, censeurs et autocrates » vient de paraître aux Editions du Moment