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Quand Lula fait la leçon à Hollande (et à Jospin)

L'ancien président brésilien Lula au Forum du Progrès Social le 12/12/12
L'ancien président brésilien Lula au Forum du Progrès Social le 12/12/12

L’ancien président brésilien aime la France et son esprit révolutionnaire. Mais il se désole de la voir si mal se débrouiller dans la crise européenne. Retraçant, lors de son passage à Paris, ses 8 années de présidence, il n’a pas hésité à donner aux dirigeants français une petite leçon de combativité et d’optimisme. Verbatim.

Lors de sa visite d’Etat en France les 11 et 12 décembre derniers, la présidente brésilienne Dilma Rousseff était accompagnée de son mentor et prédécesseur, l’ancien président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010). Celui-ci a été convié, avec l’ancien premier ministre Lionel Jospin, à clore le premier « Forum du progrès social » organisé par la nouvelle fondation qui porte son nom, l’Instituto Lula, et par la fondation Jean-Jaurès. Une sorte de lobby social-démocrate très chic de la croissance durable, qui espère peser sur les prochaines décisions internationales, notamment au G20. Lula s’y est montré égal à lui-même, parlant longtemps et sans notes, alternant autodérision et autosatisfaction, pragmatisme et envolées lyriques.

Un excellent CV

« Je n’ai pas pour habitude de craindre la crise J’ai vécu toute ma vie dans la crise. Je viens d’un endroit où, quand on n’est pas mort de faim à 5 ans, c’est déjà un succès ».

« Un ingénieur choisit son métier, un médecin, un journaliste aussi. Un ouvrier n’a jamais le choix, il ne sait rien faire d’autre. C’est comme cela que je suis devenu métallo, ce qui m’a permis d‘avoir cet excellent CV qui m’a fait accéder à la présidence de mon pays ».

« Cher Jospin, quand j’étais ouvrier, l’inflation était de 80% par mois . On recevait notre paye et elle perdait si vite de sa valeur qu’on fonçait dans la demi-heure acheter tout ce qui n’était pas des produits frais . »

« J’ai perdu tellement, tellement d’élections qu’un jour, le peuple brésilien a eu de la peine pour moi et m’a élu. Quand, après tant d’échecs, je suis enfin monté vers le Planalto, quelques camarades me disaient encore : n’y va pas, le Brésil est en faillite ».

Le gâteau et quand le partager

« Il fallait faire autre chose. Faire savoir que le Brésil n’était pas une république bananière, mais un pays important doté de richesses et d’un peuple avide de le revendiquer ».

« Je suis le seul président à être allé à la fois au Forum social de Porto Alegre (où l’on croise beaucoup de trotskystes, y compris français, qui glorifient « l’Etat Dieu ») et au Forum de Davos (où la crème du capitalisme mondial proclame la fin de l’Etat et le règne du « marché Dieu »). J’ai pensé qu’il fallait dépasser les certitudes, celles des marxistes, et celles des capitalistes ».

« Avant, au Brésil, on pensait qu’il fallait d’abord faire grossir le gâteau et, ensuite seulement, le partager. Le gâteau a grandi en effet, et quelques uns l’ont mangé. Mais pas le peuple. La solution, c’était de faire les deux en même temps : pendant 8 ans, nous avons augmenté le salaire minimum tout en maîtrisant l’inflation. Toutes les catégories sociales ont vu leur revenu progresser plus vite que les prix ».(…)

« Ce n’est pas difficile de prendre soin des pauvres. C’est beaucoup plus difficile de s’occuper des riches, ils ont des besoins infinis. Les pauvres, non. Ils veulent juste vivre dignement, étudier, travailler, se marier, avoir une maison et, si possible, une petite voiture et un ordinateur ».

De l’Afrique au Timor oriental

« Le Brésil tournait le dos à l’Amérique latine, à l’Afrique à laquelle nous sommes pourtant reliés par l’Océan. L’Océan est une frontière extraordinaire, seuls les ignorants le voient comme un obstacle. Les présidents latino-américains se disputaient pour savoir qui était le plus copain avec Clinton, avec le président français ou le chancelier allemand. Je suis le premier président du Brésil à avoir rendu visite à tous les pays d’Amérique latine, à avoir effectué 33 voyages en Afrique, à être allé au Liban et même au Timor oriental (y faire quoi, je ne sais pas trop mais bon, j’y suis allé). Le temps où Churchill, Staline et Roosevelt décidaient de l’avenir du monde autour d’un Jack Daniels est révolu. Pour la première fois en 500 ans, les pays d’Amérique latine se sont réunis en sommets sans les USA et sans Panama. Les pays africains et latino-américains ont commencé à se réunir ».

« Tout cela a un peu changé la donne. Nos échanges commerciaux sont passés de 107 à 482 milliards de dollars en 8 ans. C’est moins que la Chine ou que l’Allemagne mais c’est une belle progression. Nous avons réussi à convaincre qu’il était possible de développer, en même temps, ET notre marché intérieur, ET nos exportations ».

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L’estime de soi

« Quant la crise est survenue en 2008, j’ai dit que ce n’était qu’une petite vague et j’ai été pour cela durement critiqué par les spécialistes de l’apocalypse. Un jour, j’ai lu dans les journaux que, comme en Europe, les Brésiliens réduisaient leurs dépenses par peur des dettes et du chômage. Alors je suis allé à la télévision et, moi qui avais passé ma vie à lutter contre la société de consommation, j’ai dit aux Brésiliens : « OK, c’est la crise mais allez-y , consommez, achetez ce qui vous plait, endettez-vous mais pas trop. Car si vous ne consommez pas, les entreprises vont cesser de vendre et de produire et c’est là que vous allez vous retrouver au chômage ». Et, pour la première fois, les classes moyenne et pauvre ont consommé plus que les classes A et B [favorisées]. Les pauvres sont allés faire les courses parce qu’après 6 ans du programme Bourse Famille, ils en avaient les moyens. L’estime de soi a beaucoup progressé dans le peuple » (…)

« Jospin, le Brésil est un pays capitaliste sans capital. A mon arrivée au pouvoir en 2003, 65 millions de Brésiliens avaient un compte en banque. Ils étaient 105 millions en 2008. Avant, quand un pauvre passait devant une banque, il risquait de se faire jeter en prison. On refusait de lui prêter parce qu’il n’avait aucune garantie. Alors on a décidé que la garantie, ce serait son salaire et on a créé le crédit consigné [échéances prélevées directement sur salaire,ndlr] qui permet d’emprunter jusqu’à 30% du salaire. Le boom du crédit qui en a résulté a dopé l’économie mais nous a aussi permis de gagner la confiance des entreprises privées, qui avaient très peur de nous.

Esprit de la révolution française , es-tu là ?

« A mes amis européens, je dirais : certes, ça vous aurait couté moins cher de résoudre la crise si vous aviez réagi plus tôt. Mais je ne peux pas imaginer que vos gouvernements ne croient plus à cet idéal, à ce patrimoine de l’humanité qu’est l’Union européenne. Peut-être a-t-elle des défauts mais c’est impossible de renoncer après cet extraordinaire chemin déjà parcouru.

« A mes camarades français je dis : le peuple brésilien a élu Dima Rousseff pour qu’elle fasse ce qu’elle avait promis de faire. C’est la même chose pour Hollande, pour Obama . Mais quel est le degré de participation de la société française aux débats sur les moyens de sortir de la crise ? Personnellement, en 8 ans, j’ai fait 74 réunions pour discuter de tous les sujets imaginables ».

«Nous, au Brésil, on se bat pour améliorer notre qualité de vie. Vous, vous luttez pour conserver ce que vous avez, votre bien-être social. Combien de luttes, d’accords, de mouvements a-t-il fallu pour l’acquérir ? La France a une histoire, une tradition, elle ne peut pas se permettre de revenir en arrière, de revenir sur tout ce qui a été conquis si difficilement. Que l’esprit de la révolution française reste présent dans l’esprit de tous les Français ». (…)

« J’espère aussi que l’esprit de la révolution française inspirera les débats en 2015 lorsque la France accueillera la conférence sur le climat ».