Panama veut être le « Dubaï des Amériques»
Le président Ricardo Martinelli dirige le Panama comme une entreprise. Il était récemment à Paris pour faire miroiter aux patrons français les opportunités de son pays, où il a lancé un plan d’investissements de 13,6 milliards de dollars sur 5 ans. Et pour répéter que le Panama n’était plus un paradis fiscal.
Le président du Panama Ricardo Martinelli était, les 17 et 18 novembre derniers, en visite à Paris. Il a été reçu à l’Elysée et a rencontré les patrons français lors d’une conférence au MEDEF International. La visite aurait pu être crispée : Nicolas Sarkozy avait, une dizaine de jours avant, au sommet du G20 de Cannes, menacé une série de paradis fiscaux _ dont l’Uruguay et le Panama _ d’être « mis au ban de la communauté internationale », provoquant les protestations des autorités panaméennes. Mais le Quai d’Orsay, à la veille de la visite du président Martinelli, a préféré adoucir le ton, expliquant que le chef de l’Etat français s’était exprimé en tant que président du G20 et non à titre national.
Classé en 2009 sur la liste noire de l’OCDE des paradis fiscaux non coopératifs, puis reclassé sur la liste grise, le Panama a, depuis, signé de nombreuses conventions de non double imposition et d’échanges d’informations fiscales avec d’autres pays. Le douzième accord, signé précisément avec la France en juin dernier, devrait lui permettre de sortir de la liste grise de l’OCDE (douze accords minimum sont requis) et d’apparaître désormais sur la liste blanche, beaucoup plus honorable. Ce, dès que le Parlement français aura ratifié cet accord. Ricardo Martinelli a déclaré à Paris que Nicolas Sarkozy lui avait assuré que « ce serait fait avant la fin de l’année »… Il a ajouté que des accords de ce type étaient sur le point d’aboutir avec la Grande Bretagne et avec Singapour. Le secrétaire général de l’OCDE a d’ailleurs salué l’été dernier les efforts du Panama pour se mettre aux standards internationaux, non sans souligner la nécessité que le « Forum mondial fiscal sur la transparence » vérifie que ses réformes législatives répondaient bien aux objectifs. « Le Panama a encore des déficiences dans sa législation interne, disposant de mécanismes protégeant l’information sur les propriétaires d’une société », déclarait récemment à La Tribune Pascal Saint-Amans, secrétaire du Forum.
« Entrepreneurs, faites de la politique ! »
Quoi qu’il en soit, ce petit pays de 3,5 millions d’habitants s’estime désormais non seulement fréquentable mais aussi désirable pour les investisseurs européens. C’est ce que Ricardo Martinelli, accompagné de plusieurs de ses ministres, est venu marteler devant un parterre d’entrepreneurs du Medef. Cet homme d’affaires de 59 ans, milliardaire, à la tête de la plus grande chaîne de supermarchés du pays, Super 99, a succédé en juillet 2009 à Martin Torrijos à la présidence de la république. « Comme le Chili, le Panama est donc dirigé par un chef d’entreprise, et j’engage les business men français à s’impliquer eux aussi. Les politiques tentent d’influencer notre action, ils édictent des règles, nous disent quoi faire et comment. Mieux vaut être soi-même aux commandes. Entrepreneurs, participez à la vie politique !», a-t-il lancé aux patrons français, avant de faire l’inventaire des atouts de l’ «entreprise» Panama. Avec 10,3% de croissance au premier semestre 2011, 11% prévue pour 2012 _ «la crise, on ne sait pas ce que c’est »_ et 3 milliards de dollars d’investissement directs étrangers cette année (contre 2,1 milliards en 2010), l’économie panaméenne connait des taux de croissance « parmi les plus forts du monde », ce qui en fait « l’une des meilleures destinations d’Amérique latine pour les investisseurs », affirme le président qui ajoute, en évoquant les gratte-ciels de la capitale : « le Panama, c’est le Dubaï des Amériques ».
Situé entre Amériques du Nord et du Sud, entre océans Atlantique et Pacifique, le Panama est une plateforme logistique et un centre financier (93 banques présentes sur son sol) stratégiques dans la région. Il réalise quelque 80% de son PIB dans les services et le commerce international. Son économie dollarisée, estampillée « investment grade » depuis 2010, a cru de 8,3% par an en moyenne ces 5 dernières années. Sa situation budgétaire est saine (1,1% de déficit au premier semestre 2011) , avec une dette publique ramenée en 10 ans de 66,5% du PIB à 43,4%. La zone franche de Colon (30 milliards de dollars d’activité) est la deuxième plus grande au monde après Hong Kong et une loi, votée en 2007 incite les multinationales à installer leurs sièges régionaux au Panama.
Cette dynamique a ses zones d’ombre. Le pays reste très inégalitaire et le taux de pauvreté avoisine les 30% même si le gouvernement affirme qu’il baisse grâce à une série de programmes sociaux. Si le pays affiche un taux de chômage officiel très bas de 5,4%, le travail au noir, fléau de toute la région, représente encore 40%. «Nous légalisons tous les nouveaux immigrants pour qu’ils ne viennent pas grossir les rangs de l’économie informelle, rétorque Ricard Martinelli. Nous avons besoin de leur force de travail et de leurs impôts». Carrefour géographique exceptionnel, le Panama a aussi longtemps été une plaque tournante du narcotrafic, ses banques participant au blanchiment de l’argent. Là aussi, Martinelli affiche son volontarisme : «Nous sommes le pays tampon le plus proche des producteurs de cocaïne. Chaque kilo que nous arrêtons, c’est un kilo en moins qui arrive chez vous. J’ai demandé au président Sarkozy que la France nous aide dans cette lutte, comme le font les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ».
Un plan quinquennal d’investissement
Le boom du pays est symbolisé par le pharaonique chantier de l’agrandissement du canal, commencé en 2007 et qui doit être achevé en 2014, pour un coût total estimé à 5,25 milliards de dollars. Les navires les plus larges (les post-panamax) pourront alors l’emprunter pour passer d’un océan à l’autre, ce qui devrait doper considérablement le trafic maritime et, donc, les recettes du pays. Mais l’actuel président a aussi lancé un ambitieux plan de modernisation représentant 13, 6 milliards de dollars d’investissements entre 2010 et 2014. Les projets concernent essentiellement les infrastructures : métro de la capitale, aéroports (3 supplémentaires), ports (dont un deuxième sur le Pacifique), extension du réseau routier, des réseaux d’eau et d’assainissement, tourisme, mines etc. Ils devraient intéresser les entreprises françaises, qui ont dans l’ensemble raté le coche du chantier du canal (hormis quelques exceptions notables telles que Tractebel Ingeneering et la Compagnie Nationale du Rhône, filiales du groupe GDF Suez, qui ont conçu et réalisé la troisième ligne d’écluses).
Ainsi, Alstom est-il associé au consortium, conduit par le Brésilien Odebrecht et l’Espagnol FCC, qui s’est vu attribuer il y a un an le contrat de construction de la première ligne du métro de Panama City (13,7 km). Le groupe français assurera l’ingénierie, l’intégration et la mise en service du lot électromécanique et doit fournir 57 voitures, des sous-stations de traction et le système de contrôle des trains CBTC . Sa part s’élève à environ 200 millions d’euros, sur un total d’1,1 milliard. La fin des travaux est prévue pour la fin 2013.
De son côté, GDF Suez mise depuis 5 ans sur le Panama, dont il a fait sa base pour toute la région. Philippe Delmotte , directeur général de GDF Suez Amérique Centrale, a profité de l’occasion pour en énumérer les raisons : « stabilité politique du pays, économie en croissance et dollarisée , marché libre doté de règles stables, localisation stratégique ». L’énergéticien français est présent dans le pays depuis mars 2007, date du rachat de 51% de la société Bahias Las Minas Corp, principal producteur d’électricité thermique du pays. L’année suivante, il lance la construction d’une centrale thermique, mise en service début 2009. Parallèlement, il rachète dans la province de Chiriqui une concession hydroélectrique dont le projet prévoit trois centrales. Une première a été inaugurée en décembre 2010, une deuxième en septembre dernier. Entretemps, il a démarré un projet à base de charbon et gère des éoliennes, avec la volonté délibérée de diversifier au maximum sa matrice énergétique. En outre, sa filiale Degrémont a signé en 2010 un contrat pour la construction d’une usine de traitement des eaux usées. « Nous avons investi au Panama 700 millions de dollars en moins de 4 ans, souligne Philippe Delmotte. Avec 379 mégawatts de capacité installée et 22% de parts de marché, le groupe est le deuxième producteur d’électricité du pays.
Un enthousiasme que Ricardo Martinelli aimerait bien retrouver dans d’autres secteurs d’activité français, notamment bancaire. Il espère ainsi le retour prochain de BNP Paribas, qui s’est totalement retiré en 2010 du Panama , alors que celui-ci figurait en bonne place sur la liste grise de l’OCDE…