Le président par intérim Michel Temer tente de s’imposer via une batterie de nominations (plus ou moins) prestigieuses
Le nouveau président intérimaire du Brésil, qui a pris ses fonctions le 12 mai dernier, jour même de la mise à l’écart de Dilma Rousseff, risque d’avoir bien du mal à tenir le gouvernail d’un Brésil en crise et en effervescence alors qu’à peine nommé, un de ses ministres doit déjà démissionner. Zéro charisme, guère plus de popularité ni même de notoriété (malgré l’intérêt qu’avait un moment suscité dans les médias sa nouvelle épouse très bimbo, Marcela, de 42 ans sa cadette) : Michel Temer, nouveau chef d’Etat par intérim du Brésil après avoir réussi à évincer Dilma Rousseff dont il fut l’allié et le vice-président, part de loin pour se hisser à la hauteur de ses ambitions, qui sont grandes : « remettre le pays sur les rails en deux ans et sept mois », comme il l’a déclaré à la revue Epoca. Propos qui montrent en tout cas qu’il est convaincu que Dilma Rousseff ne reviendra pas au pouvoir à l’issue de ses 180 jours de suspension et que son procès débouchera sur sa destitution, lui permettant ainsi de faire durer l’interim jusqu’à la fin officielle du mandat de cette dernière fin décembre 2018. Une telle confiance peut s’expliquer par le vote du Sénat jeudi 12 mai. Alors qu’une majorité simple suffisait pour confirmer le lancement de la procédure, 55 des 81 sénateurs ont voté pour (soit plus de la majorité des deux tiers qui sera requise pour le vote final, à l’issue du procès). Autrement dit, à moins d’un retournement spectaculaire, la messe serait dite. Pas sûr pour autant que Michel Temer tienne bon durant les deux ans et demi qui restent jusqu’à la fin du mandat de Dilma, ni même durant ses 6 mois de mise à l’écart. Car contrairement à cette dernière, le nom de Temer a été cité dans le scandale de corruption centré autour de la compagnie pétrolière Petrobras qui secoue le pays depuis deux ans, et il n’est pas exclu que l’enquête « Lava Jato » de l’impitoyable juge de Curitiba, Sergio Moro, ne le rattrape, tout comme elle a rattrapé Eduardo Cunha, qui a récemment dû démissionner de la présidence de la Chambre des députés.
D’autre part, Michel Temer va faire face à une agitation sociale qui ne se dément pas, de la part des partisans de Lula, Dilma et du Parti des Travailleurs qui redoutent, malgré ses promesses de ne pas y toucher, des coupes dans les programmes sociaux. Mais aussi de la part du camp adverse, guère plus satisfait de le voir arriver à ce poste. Ce fils d’immigrés libanais de 75 ans, ex professeur de droit constitutionnel et apparatchik du parti centriste PMDB, va en outre devoir affronter une conjoncture épouvantable, avec un déficit public de 10%, un recul de 3,8% du PIB en 2015 et quasiment autant cette année selon les prévisions, un endettement qui s’est envolé à 70% du PIB et un chômage de plus de 10%.
Régime sec pour la BNDES
Le gouvernement resserré (24 ministres) au profil à la fois libéral et conservateur qu’il a nommé, est déjà critiqué, car entièrement composé d’hommes blancs (et sexagénaires pour la plupart). Temer s’est hâté de rectifier le tir en promettant de créer quelques strapontins pour des femmes et, plus sérieusement, en nommant l’économiste Maria Silvia Bastos Marques à la présidence de la Banque nationale de développement économique et sociale (BNDES), en remplacement de Luciano Coutinho, qui occupait le poste depuis l’arrivée de Lula au pouvoir en 2003. Déjà passée par la banque en début de carrière, cette économiste a aussi exercé des responsabilités au sein du sidérurgiste CSN et conseillait dernièrement le maire de Rio, Eduardo Paes, pour la coordination des JO. Cette nomination marque sans doute la fin d’une époque pour la BNDES, bras financier de l’Etat, dont les gouvernements Lula et Rousseff se sont beaucoup servi pour distribuer généreusement des crédits à taux bonifiés. Affichant sa volonté de diminuer les dépenses publiques, le gouvernement Temer a cependant déjà annoncé que la BNDES devrait réduire la voilure et restituer au Trésor quelque 25 milliards d’euros.
Départ du ministre de la Planification mis en cause dans le scandale Petrobras
Plus grave pour sa crédibilité, sept des ministres qu’il a choisis sont déjà sous le coup d’enquêtes pour corruption. L’un d’eux, Romero Juca, ministre de la Planification, a annoncé hier son départ contraint et immédiat du gouvernement, après que le quotidien Folha de Sao Paulo a rendu public l’enregistrement d’une conversation datant de mars, entre lui et l’ancien sénateur Sergio Machado (lui-même mouillé dans l’affaire Petrobras). « L’impeachment est nécessaire, entend-on Juca lui dire. Il n’y a pas d’autre issue. Il faut résoudre toute cette merde. Il faut changer le gouvernement pour stopper l’hémorragie ». Révélations qui portent atteinte à l’image du nouveau gouvernement, mais aussi à la légitimité de la procédure de destitution, présentée comme une façon d’étouffer l’enquête. Et ce, alors que Michel Temer avait promis de ne pas mettre de bâtons dans les roues des juges. Couplée au marasme économique, cette ambiance incertaine et malsaine risque de tenir à distance les investisseurs étrangers, dont le Brésil a pourtant grand besoin. C’est un peu le sens de l’étude que la Coface a récemment publiée sur le pays.
Les atouts Mereilles, Goldfain et Parente
Néanmoins, Michel Temer a tout de même quelques atouts dans sa manche. D’abord le soutien entier, pour le moment, des milieux d’affaires, impatients de voir le Brésil prendre un tournant libéral. Mais cette confiance peut s’envoler tout aussi vite si les résultats ne sont pas au rendez-vous. D’autre part, il s’est entouré de quelques pointures crédibles en matière économique, dont l’ancien gouverneur de la banque centrale, Henrique Mereilles, placé à la tête d’un super ministère des Finances. Une arme clé pour redonner confiance aux marchés. Mereilles a déjà annoncé sa volonté « d’inverserla trajectoire d’augmentation de la dette publique», mais aussi de s’attaquer aux serpents de mer de la réforme des retraites et à celle du Code du travail, pour redonner un peu de productivité à l’industrie. Sur ces deux dossiers, il risque néanmoins de trouver sur sa route des syndicats très combatifs. Autre nomination de poids dans le contexte inflationniste actuel, celle d’Ilan Goldfain à la tête de la Banque Centrale, pour remplacer Alexandre Tombini. Goldfain était jusqu’à présent économiste en chef de la première banque privée brésilienne Itau Unibanco. Ce brillant haut fonctionnaire d’origine israélienne, qui s’est formé à l’université pontificale catholique de Rio de Janeiro, puis au MIT, est déjà passé par la Banque Centrale, mais aussi par le FMI, la Banque Mondiale et l’ONU, avant de rejoindre le privé. A la tête de la compagnie pétrolière Petrobras, ébranlée par la chute des cours du brut et bien plus encore par le scandale de pots de vins dont elle est le centre, Temer a également nommé une pointure, Pedro Parente, 63 ans, qui fut chef de cabinet du président Fernando Henrique Cardoso de 1999 à 2003, puis a occupé plusieurs poste ministériels (Planification, Mines et Energie) avant de prendre la tête de la filiale locale du groupe céréalier américain Bunge. Actuellement, il préside le conseil d’administration de l’opérateur de la Bourse de Sao Paulo, BM&FBovespa et compte même, «sauf s’il y a conflit d’intérêts», cumuler les deux postes. Citons enfin Jose Serra, qui reprend le portefeuille des Affaires étrangères. Ce vieux routier de la politique, qui fut député et sénateur, ex ministre du gouvernement Cardoso, ex gouverneur de Sao Paulo et candidat malheureux à la présidentielle de 2010, a l’avantage d’être l’homme fort du PSDB, parti libéral de l’opposition, qui s’allie donc pour la circonstance au PMDB. Mais il a aussi l’immense inconvénient de ne pas être « clean » puisqu’il est cité dans plusieurs enquêtes de trafic d’influence et de malversations, ce qui le place sur un siège éjectable. En tout cas, lui aussi a annoncé sans tarder vouloir rompre avec la politique protectionniste de l’ère Rousseff, pour relancer un Mercosur endormi (Brésil, Argentine, Paraguay,Uruguay, Venezuela), se rapprocher de la libérale Alliance du Pacifique (Chili, Pérou, Colombie, Mexique), et renforcer les liens avec « les partenaire traditionnels du Brésil », citant l’Argentine (qui a basculé à droite avec Mauricio Macri) mais aussi l’Union européenne, les Etats-Unis et le Japon.
Une épée de Damoclès nommée Sergio Moro
Michel Temer peut en outre compter sur sa grande expérience personnelle des «combinazione » du Congrès et sur ses talents de négociateur, ce dont, de l’avis général, Dilma Rousseff est cruellement privée. Reste que ce Congrès, avec ses quelque 28 partis sans programme prêts à vendre leur soutiens et leurs vote au plus offrant, est lui-même gangrené par la corruption : 300 des 513 députés encore en place sont mis en cause dans les affaires de pots de vin. Le PMDB, faiseur de roi et opportuniste par construction, est au moins autant richement doté en parlementaires véreux que le Parti des Travailleurs (PT), dont il fut l’allié pendant 13 ans. Dans ce climat délétère, le plus grand danger qui menace personnellement Michel Temer est donc la main inflexible du « petit juge de Curitiba », Sergio Moro qui, si l’implication du nouveau président dans le scandale Petrobras est établie, n’hésitera pas à l’interpeller au plus vite. Ce qui risquerait certes d’aggraver encore le chaos, mais signerait peut-être aussi la fin d’un système politique brésilien vraiment à bout de souffle.