Le nouveau président péruvien, PPK, mettra l’accent sur les relations avec l’Asie
Elu dimanche dernier, sur le fil, à la présidentielle, Pedro Pablo Kuczynski prendra ses fonctions le 28 juillet prochain. Du ralentissent économique à la pression du narcotrafic, en passant par les divisions et les conflits internes, les défis sont nombreux mais le pays ne manque pas d’atouts.
Après 4 jours de comptage de voix, Pedro Pablo Kuczynski, dit PPK, a finalement été déclaré vainqueur jeudi dernier à l’élection présidentielle du 5 juin. Sa rivale Keiko Fujimori, fille de l’ex-président Alberto Fujimori aujourd’hui emprisonné pour crime contre l’humanité et corruption, a admis sa défaite. Mais la victoire du candidat libéral est si courte _ 50,12%, soit seulement quelque 40 000 voix de plus sur 17 millions de votes exprimés _ qu’elle sonne comme un avertissement, d’autant qu’elle reste suspendue à des recours.
A 77 ans, Pedro Pablo Kuczynski, ex-banquier de Wall Street qui a renoncé à la nationalité américaine, ex Premier ministre et déjà candidat à l’élection de 2001, est certes un vieux briscard de la politique. Mais les difficultés qui l’attendent dès le 28 juillet prochain, date à laquelle le président sortant Ollanta Humala, lui cèdera officiellement la place, sont légion.
Une élection par défaut
Ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’une victoire par défaut, pour faire barrage à l’élection de Keiko Fujimiro, comme l’explique le spécialiste Jean-Jacques Kourliandsky dans une analyse publiée sur le site de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) : «Une majorité de Péruviens a exprimé son hostilité au système Fujimori, qui comprend aussi bien la fille que le père. Les Péruviens sont nombreux, même parmi ceux qui ne partagent pas les idées de PPK, à avoir décidé de faire barrage. La candidate arrivée en troisième position au premier tour de l’élection présidentielle, Veronika Mendoza, qui avait obtenu 19 % des suffrages et avait défendu le seul programme alternatif de centre-gauche, a ainsi appelé ses électeurs à empêcher le retour du système Fujimori et donc à voter PPK. Cela explique la victoire surprise du candidat Kuczynski, qui était loin derrière sa rivale au premier tour – 21 % contre 38 % – et qui, 10 jours avant les élections, semblait n’avoir aucune chance d’être élu ».
Le fait cependant que la quasi moitié des Péruviens aient voté pour la fille de l’ex-président Fujimori, qui a dirigé le pays pendant 10 ans d’une main brutale et autocratique, reste préoccupant. D’ailleurs, le fujimorisme est largement majoritaire au Congrès avec 73 sièges sur 130, le futur président ne pouvant compter que sur 18 députés.
La polarisation du pays n’est cependant pas flagrante lorsqu’on regarde les programmes économiques très proches des deux rivaux. PPK entend défendre et renforcer le positionnement libéral du Pérou, d’ores et déjà très ouvert à l’international, membre de l’Alliance du Pacifique (qui regroupe aussi le Chili, le Mexique et la Colombie) et de l’APEC (Coopération économique pour l’Asie Pacifique (APEC). Jean-Jacques Kourliandsky note aussi que le président élu a d’ores et déjà affirmé « que sa priorité serait asiatique et que son premier déplacement se déroulerait en Chine [son premier client, ndlr]». Pour le chercheur, «cela est cohérent avec la situation de l’économie péruvienne qui, ces dernières années, est devenue beaucoup plus dépendante des partenaires asiatiques, en particulier de la Chine, et beaucoup moins des Etats-Unis et de l’Europe ».
Une croissance de 3,7% prévue en 2016
Le nouveau président devra certes affronter la crise qui frappe, dans la foulée du ralentissement chinois, tous les pays producteurs de matières premières de la région, même si le Pérou résiste plutôt mieux que certains de ses voisins, avec une croissance attendue cette année de 3,7% (2,9% en 2015). Beaucoup moins, certes, que durant la décennie faste 2003-2013 où le PIB a grimpé de 6% par an en moyenne. L’objectif de PPK est de doper la croissance en faisant passer la TVA de 18 à 15 % ou en permettant aux grandes entreprises de déduire leurs investissements de leurs impôts. Il a promis de créer trois millions d’emplois et de fournir en eau potable les 10 millions de Péruviens qui en sont encore privés. Il veut aussi développer la bancarisation et le crédit (pour le porter de 35% à 70% du PIB) , alors que 70% des emplois sont aujourd’hui informels.
La politique extractiviste de ce pays minier (cuivre, or , argent…) n’est pas remise en cause, malgré les conflits violents et même meurtriers de plus en plus nombreux qui ont opposé le gouvernement Humala aux communautés indiennes, soucieuses à la fois de protéger leur environnement et de récolter davantage les fruits de cette manne. PPK a prévu d’ajouter un volet social à tout nouveau projet, ce qui ne devrait pas suffire à calmer la contestation.
Insécurité et narcotrafic
Mais le président est d’abord attendu sur les questions de sécurité, hantise de 70% des Péruviens face à la recrudescence des méfaits des bandes criminelles, «les maras » et du narcotrafic. Le Pérou est l’un des leaders mondiaux de la production de cocaïne (8,5 milliards de dollars par an selon les estimations), la classe politique est gangrenée. C’est sans doute sur ce point que sera jugé le début de mandat d’un président à la fois chevronné et atypique . Aux critiques sur son âge , il répond que « sa tête et son expérience fonctionnent bien».
Ex ministre et premier ministre du président Toledo
Sa biographie est dense. Son père était médecin dans l’armée allemande pendant la Première Guerre mondiale, avant de fuir au Pérou après l’arrivée au pouvoir de Hitler. Il soigne alors les lépreux dans la jungle amazonienne, où PPK passe une partie de son enfance. Ce dernier, flûtiste de haut niveau passé par le Royal College of Music de Londres, a aussi étudié l’économie à Oxford et à Princeton, travaillé à Wall Street et à la Banque mondiale, exercé les fonctions de ministre de l’Energie, puis de l’Economie, puis de Premier Ministre sous la présidence d’Alejandro Toledo (2001-2006). Balayant les accusations de conflits d’intérêt compte tenu de ses tickets d’administrateurs dans plusieurs grands groupes, « j’ai les mains propres, affirme-t-il.Je ne suis pas un homme politique, je suis un économiste qui veut faire quelque chose pour son pays ».
Ce cousin du réalisateur Jean-Luc Godard (par sa mère franco-suisse) est aussi un grand amateur de Harley Davidson. Difficile à ce stade de savoir si cela lui sera utile dans ses nouvelles fonctions.