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Juan Manuel Gomez Robledo (I): « Le tremblement de terre pourrait avoir un fort impact sur la compétition politique »

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Dans la première partie de l’interview qu’il nous a accordé, l’ambassadeur du Mexique en France revient sur les tremblements de terre qui ont frappé le pays en septembre dernier, sur la vulnérabilité du Mexique face au risque sismique et sur les conséquences de ces drames au sein de la société mexicaine.

 

 

Moins de deux semaines après un séisme qui a causé la mort d’une centaine de personnes dans le sud du pays, la terre a de nouveau tremblé au Mexique le 19 septembre dernier, faisant 369 morts  _ selon un bilan daté du 4 octobre  _  dont plus de 200 dans la capitale. Ce drame est survenu 32 ans jour pour jour après celui de 1985, qui avait dévasté Mexico en faisant plus de 10.000 victimes, voire trois fois plus selon certaines estimations. Selon Juan Manuel Gomez Robledo, le Mexique a fait de gros progrès pour s’adapter à  ce risque récurrent. Il évoque aussi la façon dont ces drames transforment la société civile depuis 1985.

Juan Manuel Gomez Robledo

Juan Manuel Gomez Robledo
Comment le Mexique surmonte-t-il les tremblements de terre de septembre dernier ?

Le Mexique a toujours connu, du Nord au Sud, une très forte activité sismique. Il subit de très fortes secousses tous les 30-35 ans. L’une des plus violentes a été celle de 1957, suivie par celle de 1985, puis celle de 2017. Ce qui a changé, c’est la plus grande capacité des autorités, et de la société civile en général, à réagir face à l’urgence. On ne connaîtra jamais le nombre exact des victimes de 1985 : on parle aujourd’hui de 10 000 victimes mais à l’époque, le gouvernement n’en a reconnu que 3000. Je me souviens en tout cas d’autorités complètement dépassées par la catastrophe.

Beaucoup d’analystes situent à cette période, celle du tremblement de terre de 1985, l’émergence de la société civile. Pour moi, cette année marque le début réel de la démocratisation du pays. Certes, d’autres facteurs y ont contribué dont, notamment, l’ouverture économique et la participation du Mexique au GATT. Cette ouverture économique et commerciale est allée de pair avec une ouverture politique.

Vous voyez donc dans le séisme de 1985 le déclic qui a permis au pays de changer ?

Oui. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, quelques années après, on a assisté à une véritable explosion du nombre de stations de radios, qui sont devenues un espace essentiel pour le débat politique. Encore aujourd’hui, les meilleurs débats ont lieu à la radio, plus qu’à la télévision.

Je vois même dans cette année 85 le signe du changement de la relation entre l’Etat et les Eglises. Avant, notre Constitution ne leur reconnaissait aucune existence juridique. Nous n’avions d’ailleurs aucune relation diplomatique avec le Saint-Siège. Or, face à l’incapacité des autorités à réagir après la catastrophe, les citoyens ont pris le relais et les églises ont également joué leur rôle en fournissant abris et aide humanitaire. Et ce n’est pas un hasard si, deux ou trois ans plus tard, a été entamée une profonde réforme des relations avec les églises, notamment l’Eglise catholique.

Les autorités mexicaines ont-elles été, selon vous, davantage à la hauteur face au séisme de septembre 2017 ?

Trente-deux ans après, on peut dire que les autorités ont internalisé tous les grands programmes de prévention des désastres naturels mis au point à l’ONU. Le pays s’est doté de plusieurs instruments, dont le Cenapred (Centre national de prévention des désastres) et les technologies ont beaucoup évolué. Cela nous permet, par exemple, de surveiller nos volcans en temps réel, tel le Popocatépec près de Mexico, qui connait un regain d’activité depuis quelques années. A chaque alerte, les décisions d’évacuation des zones qui sont situées en contrebas sont désormais prises très rapidement et sans panique.

Des moyens nouveaux ont été mis en place tel le déclenchement d’une alerte une minute avant un tremblement de terre. Chacun sait ce qu’il doit faire. Les gens sont préparés tout au long de l’année. D’autre part, les normes de construction ont été revues : trois mille immeubles endommagés dans une capitale de 22 millions d’habitants, c’est beaucoup mais en rien comparable à ce que nous avons vécu en 1985.

Certains ont pourtant dénoncé l’importance des dégâts, étonnants compte tenu des normes antisismiques strictes.

On ne peut pas exclure que, dans certains cas, les normes n’aient pas été respectées. Il peut s’agir aussi d’immeubles situés dans des zones très vulnérables, notamment les quartiers branchés de la Roma et la Condesa. Mexico est bâtie sur un lac asséché, avec des parties plus molles que d’autres. Beaucoup d’immeubles reconstruits après 1985 ont bien résisté, les nouvelles tours de l’administration, bâties sur pilotis, aussi. Je crois pour ma part que ceux qui dénoncent la réaction insuffisante des autorités sont des voix isolées.

Ce récent séisme a-t-il entraîné un nouveau réveil de la société civile ?

Oui, je crois qu’on peut parler d’une nouvelle «secousse» de la conscience collective. Il faut d’abord souligner que la société mexicaine s’est beaucoup transformée ces dernières décennies : elle s’est sécularisée et occidentalisée, les classes moyennes se sont développées, entraînant aussi la montée de l’individualisme, une perte de repères et notamment de la solidarité familiale. Même si, malgré tout,  celle-ci résiste encore, et a d’ailleurs repris de la vigueur à l’occasion de ce drame.

Outre un regain de la cohésion familiale, ce traumatisme pourrait avoir un fort impact sur la compétition politique. Le discrédit des partis politiques est si grand que, via les réseaux sociaux, les citoyens ont exigé massivement que ces derniers renoncent à une partie des financements de campagne colossaux auxquels ils ont droit, pour les reverser aux victimes du séisme. Certains partis ont accepté, dont le parti du gouvernement (PRI) et celui d’AMLO [Andres Manuel Lopez Obrador, candidat de gauche en tête des sondages, ndlr]. D’autres tergiversent ou prétendent qu’un tel budget a déjà été voté, ce qui est faux.

Il faut dire qu’au Mexique, les candidats dépensent énormément : le pays est grand, ils voyagent beaucoup et les campagnes sont longues. En outre, le nombre d’élections qui auront lieu en juillet est considérable puisqu’en même temps que la présidentielle, seront renouvelées les deux chambres du Parlement et une dizaine de gouverneurs.

Le cadre juridique des élections a déjà évolué en autorisant les candidats indépendants. Le gouverneur du Nuevo Leon a ainsi été élu sans parti _ ce qui est une première _  et il y a aura au moins trois candidats indépendants à l’élection présidentielle. Et vu le contexte de méfiance à l’égard des partis, on peut supposer que le nombre de ces candidats va augmenter.

Les Etats-Unis vont ont-ils proposé leur aide ?

Oui, et nous l’avons accepté. Nous avons demandé des brigades de secouristes à 5 pays, dont les Etats-Unis et Israël. Nous-mêmes participons aux opérations de secours depuis 2014 dans le cadre de l’ONU. Nous avons une brigade nommée « les Topos » (petites souris), des hommes très menus qui peuvent se faufiler dans les décombres. Ils ont été utiles lors du tsunami en Indonésie et du tremblement de terre en Haiti. Nos compétences en matière de reconstruction et d’assistance humanitaire sont reconnues.