Et de trois : Evo Morales rempile jusqu’en 2020… au moins
Réélu dimanche en Bolivie pour un troisième mandat avec quelque 61% des voix, le président socialiste et indien a bénéficié de deux énormes atouts : une croissance au beau fixe et une stabilité politique, dont même les milieux d’affaires lui sont reconnaissants. Fort d’une majorité des deux tiers à l’Assemblée, Evo a tous les pouvoirs. En abusera-t-il ?
Le président Evo Morales a remporté triomphalement l’élection présidentielle, dimanche, dès le premier tour, avec quelque 61% des 6 millions de voix boliviennes, face à son adversaire de centre droit Samuel Doria Medina, qui n’a recueilli que 24 % des suffrages. Une victoire qui lui ouvre la voie à un troisième mandat de 5 ans. Son parti le MAS (mouvement vers le socialisme) a balayé l’opposition dans tous les départements (sauf celui de Beni au nord est), y compris dans le département le plus riche, celui de Santa Cruz (49% des voix) , bastion du pouvoir économique du pays qui a longtemps haï et combattu ce président socialiste et indien, ex syndicaliste et cultivateur de coca, dont les modèles revendiqués sont Fidel Castro et Hugo Chavez et qui a nationalisé la quasi totalité de l’économie depuis son arrivée au pouvoir en 2006 .
Selon le journal pagina Siete, l’explication est simple : « le MAS a oublié peu à peu son idéologie originale pour devenir l’un des partis les plus pragmatiques de l’histoire bolivienne. Ce gouvernement n’a presque plus rien à voir avec l’indigénisme ». Mais le secret de la popularité d’ «Evo» tient surtout en deux mots : croissance et stabilité.
Depuis l’arrivée au pouvoir du président aymara, la croissance moyenne du PIB est de l’ordre de 5%, avec une hausse attendue de 6,5% cette année selon la Cepalc, soit la meilleure performance de tout le continent, devant l’Equateur et la Colombie. Le pays dispose certes d’un atout majeur, son gaz naturel (le pays en possède les plus grandes réserves du sous- continent , derrière le Venezuela). Après la nationalisation musclée des hydrocarbures par Evo Morales dès son arrivée au pouvoir et l’instauration de royalties de 50% (contre 18% auparavant), les exportations de gaz sont passées en 8 ans de 1,4 à 6,8 milliards de dollars, une manne qui va directement dans les coffres de l’Etat, et dont tout le monde profite, via des programmes sociaux structurants (création d’un pension pour les personnes âgées, primes aux enfants scolarisés, boom du salaire minimum) et des investissements : durant la même période, le PIB par habitant est passé de 1.000 à 2.800 dollars, et le salaire minimum de 72 à 206 dollars.
Le président a enchainé aussi sec sur les nationalisations (souvent annoncées le 1er mai) d’autres secteurs _ télécoms, mines, aéroports_ au point de reconnaitre tranquillement il y a quelques jours qu’il n’y avait plus grand-chose à nationaliser. Cette politique, calquée au départ sur celle de son mentor Hugo Chavez, n’a pas eu les mêmes effets délétères qu’au Venezuela, et n’a pas fait fuir les investisseurs étrangers. Selon un rapport du ministère de l’Economie cité par l’AFP, les IDE ont atteint l’an dernier 1,75 milliard de dollars (ce qui reste certes bien inférieur aux 6 milliards engrangés par le Pérou).
Ce dynamisme a même fini par convaincre les classes sociales aisées de Santa Cruz, siège des puissants milieux d’affaires. Morales a réussi a engager la discussion avec les entreprises, qui ont cessé de le harceler en 2009, certes après trois premières années très difficiles _ celles des travaux de l’Assemblée constituante_ qui avaient failli déboucher sur une guerre civile entre l’ouest andin du pays, pauvre et indigène et l’est, blanc et plus favorisé.
Depuis cinq ans, grâce à l’embellie économique (et sans doute tant que celle-ci durera), une réelle stabilité politique s’est installée, du jamais vu dans ce petit pays enclavé, qui a 160 coups d’État au compteur depuis son indépendance en 1825. Evo Morales a certes bénéficié plein de l’explosion des cours des matières premières pendant une décennie. Mais il a su aussi s’entourer de conseillers de diverses nationalités qui lui ont appris le métier et l’ont aidé à construire des institutions plus solides.
Contradictions
Cela dit, il a encore beaucoup à faire : le pays reste l’un des plus pauvres du sous continent avec un taux de grande pauvreté supérieur à 20% des 10,4 millions d’habitants. L’économie informelle atteint 80% des actifs, la corruption reste un problème majeur dans le pays, qui n’est encore guère traité. Les classe populaires, les fonctionnaires, s’impatientent et manifestent. Le président doit aussi gérer des contradictions plus profondes, entre sa volonté de préserver la « pacha mama » (terre mère) des peuples indigènes et celle, tout aussi affirmée, d’industrialiser enfin le pays. Ainsi, l’autonomie que la Constitution de 2009 a conféré aux populations autochtones, permet-elle à ces dernières de s’opposer avec plus de force aux projets de développement chers à Evo Morales. Tel le fameux projet autoroutier, stratégique pour ce petit pays enclavé privé d’accès à la mer, mais qui devait traverser la réserve écologique du Tipnis.
Contradictions aussi entre ses ambitions de développement humain et des mesures régressives comme celle votée en juillet dernier par le Congrès _ avec son soutien _ qui légalise le travail des enfants de plus de 10 ans (selon les chiffres officiels de 2012, plus de 850 000 enfants travaillent, soit 17,5 % des 7 à 17 ans).
De même, la volonté légitime de la Bolivie de maitriser ses ressources naturelles et de développer lui-même les chaines de valeurs qui leur sont liées, sa méfiance farouche à l’égard des multinationales très compréhensible au regard de son passé, risque de la conduire à louper des opportunités historiques, telle la ruée actuelle sur le lithium. La Bolivie détient, notamment sur le Salar d’Uyuni, le plus grand gisement de ce composant essentiel des batteries d’appareil photo, de smartphones ou de voitures électriques (85% des réserves de lithium sont concentrées dans les salars andins entre Chili, Bolivie et Argentine). Dès son arrivée au pouvoir, Morales a annoncé de grands projets d’exploitation raisonnée de cet or blanc, à condition que les batteries soient fabriquées sur place. Mais le processus tarde à se mettre en place, alors qu’au Chili, l’exploitation bat son déjà plein et qu’elle démarre en Argentine.
Modifier la Constitution pour un quatrième mandat ?
D’autre part, les premiers résultats des législatives font état de 111 sièges de députés remporté par le MAS sur 130 et de 25 des 36 sièges de sénateurs. Soit la majorité absolue, assez donc probablement pour réformer la Constitution et lui permettre une réélection indéfinie, grande crainte de l’opposition. Evo Morales a négligemment balayé cette hypothèse lors d’une conférence devant la presse internationale le surlendemain de son élection. dans des propos retransmis par l’AFP : « J’ai entendu des « Evo pour toujours », « Evo jusqu’en 2025 » pendant la campagne. Je comprends ce sentiment. Parce que ce qu’ils n’ont pas fait en 180 ans, nous l’avons réalisé en neuf ans de gouvernement. Les syndicalistes, le mouvement indigène n’étaient donc pas faits seulement pour voter, mais aussi pour gouverner. C’est pour cela que nous avons gagné les élections. Dans ce contexte, je comprends donc ces envies, mais en ce moment ni la réforme de la Constitution et encore moins des plans jusqu’à 2025 ne sont dans notre agenda ».
Le terme « en ce moment » est important. Il n’y a pas si longtemps, la Cour Constitutionnelle avait permis à Evo Morales de se représenter en 2014 (alors que la Constitution de 2009 ne permet que deux mandats) en décidant de ne pas tenir compte de sa première élection, car elle avait eu lieu avant la réforme de la Constitution