Déçue par sa classe politique, l’Amérique latine se jette dans les bras des extrêmes
La dizaine d’élections prévues en 2018 pourrait faire émerger des candidats issus des extrêmes, souvent de la droite conservatrice (mais pas toujours), propulsés par le rejet croissant de la corruption qui mine le sous-continent.
Cet article a déjà été publié le 10 février 2018 sur le site Slate.fr
En 2018 et 2019, la quasi totalité des électeurs latino-américains se rendra aux urnes. Le coup d’envoi a été donné début février avec le premier tour de la présidentielle au Costa Rica et un référendum en Equateur. Suivront, rien que cette année, une série d’élections législatives ou locales et cinq élections présidentielles au Paraguay (22 avril), au Venezuela (d’ici la fin avril), en Colombie (27 mai), au Mexique (1er juillet) et au Brésil (7 octobre). Signalons aussi –même s’il ne s’agit pas d’une élection démocratique– le départ de Raul Castro de la présidence cubaine et la désignation de son successeur en avril (probablement l’actuel numéro deux du gouvernement Miguel Diaz-Canel), qui tournera la page de l’ère Castro.
La région n’avait pas connu une telle intensité électorale depuis le précédent cycle des années 2005 et 2006, celui du grand virage à gauche initié dès 2003 au Brésil avec l’élection de l’ancien métallo Lula et de Nestor Kirchner en Argentine, puis l’avènement de pouvoirs de gauche modérés au Chili, au Pérou ou au Costa Rica, ou plus radicaux en Bolivie, en Equateur ou au Nicaragua, ces derniers dans la foulée de la «révolution bolivarienne» du charismatique président vénézuélien Hugo Chavez.
Aujourd’hui, on s’attend à un retour de balancier. L’Argentine a déjà mis fin, en décembre 2015, à douze ans de kirchnérisme en portant au pouvoir Mauricio Macri, un libéral assumé conforté par les législatives d’octobre dernier. Au Chili, l’homme d’affaires conservateur Sebastian Piñera (déjà président de 2010 à 2014) a été élu en novembre dernier, pour succéder à la socialiste Michèle Bachelet dont il compte bien effacer les réformes sociales et sociétales (début de gratuité de l’éducation, mariage gay, dépénalisation partielle de l’avortement…). Au Brésil, depuis la destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff en août 2016, son successeur par interim Michel Temer mène une politique nettement droitière.
Dilma Rousseff et Lula da Silva lors d’un meeting pour lancer la candidature de l’ex-président à la présidentielle brésilienne d’octobre, le 25 janvier 2018. | Nelson Almeida/AFP
Incertitude, fragmentation et polarisation
La poursuite de ce coup de barre à droite s’expliquerait logiquement par la lassitude, le besoin d’alternance et surtout la crise que vit la région depuis l’effondrement en 2014 des cours des matières premières. Mais ce qui caractérise d’abord le cycle qui s’annonce, c’est l’imprévisibilité. Trois pays vivent des situations totalement inédites, voire surréalistes comme le Brésil, dont l’ancien président Lula a vu récemment sa condamnation confirmée en appel et alourdie à douze ans de prison, mais qui continue de surfer en tête de tous les sondages, avec 34 à 37% d’intentions de vote selon les scénarios. Malgré les recours qui lui restent, la probabilité qu’il aille en prison avant la présidentielle d’octobre est forte, d’autant que la justice est clairement décidée à tout faire en ce sens.
Le cas du Venezuela est encore plus complexe en raison du chaos dans lequel se trouve le pays, en défaut partiel, confronté à une inflation à quatre chiffres, à des pénuries intenables, à un climat toujours proche de la guerre civile, à des sanctions internationales et à un exil massif des Vénézuéliens. Initialement prévue en décembre ….
[Il vous reste 82% de l'article à lire]