Dans la tourmente du « Petrolão », Dilma Rousseff tente de reprendre la main
Déstabilisée par le scandale Petrobras qui éclabousse son propre camp, affaiblie par la dégradation de l’économie, la présidente cherche à retrouver des marges de manoeuvre, alors que 60% des Brésiliens se disent favorables à sa destitution.
Après la gigantesque vague de protestation du dimanche 15 mars, qui a jeté dans les rues de 80 grandes villes du Brésil plus d’1,5 million de personnes (dont 1 million dans la mégapole de São Paulo) pour réclamer sa destitution, Dilma Rousseff tente de repasser à l’offensive. Sa crédibilité est minée par le « Petrolaõ », scandale sans précédent qui frappe la compagnie pétrolière nationale Petrobras, mettant en cause la plupart des grandes entreprises de BTP du pays et bon nombre de politiciens proches du pouvoir : un vaste réseau de corruption reposant sur un système institutionnalisé de surfacturations et de pots de vins dans le cadre des attributions de marché, dont l’objectif premier était de financer les partis et leurs campagnes électorales. Au moins 4 milliards de dollars auraient été détournés en 10 ans. « Notre gouvernement ne transige pas avec la corruption (…), l’heure est venue pour le Brésil de mettre fin à ces crimes et pratiques », a proclamé la présidente le 18 mars, annonçant une série de mesures anti corruption. Par exemple, criminaliser la pratique des caisses noires des partis politiques en période électorale qui, «aussi incroyable que cela puisse paraître, n’est actuellement pas un délit », a souligné le ministre de la Justice. Autre objectif : faire voter une loi pour confisquer les biens dont on ne peut justifier la propriété et les vendre aux enchères (en gelant les gains jusqu’à la décision de justice). Tout candidat à un poste de responsabilité publique (par exemple au sein des grandes entreprises publiques) devra d’autre part avoir un casier judiciaire vierge, une condition déjà exigée (mais seulement depuis 2011) pour les candidats à une élection.
Ces annonces fortes sont, cependant, essentiellement destinées à calmer l’opinion car on imagine mal, aujourd’hui, les députés voter sans rechigner des lois mettant à mal leurs privilèges.
Selon un sondage, 60% des Brésiliens en faveur de la destitution de Dilma
Mais il s’agit d’abord pour Dilma Rousseff, d’enrayer l’effarante dégringolade de sa cote de popularité, tombée à 18,9%, contre 55,6% au moment de sa réélection (de justesse) en octobre 2014. En outre, d’après ce sondage CNT/MDA publié hier, 59,7% des personnes interrogées sont favorables à sa destitution et 64,8% jugent de façon négative l’action de son gouvernement. Si l’élection présidentielle avait lieu aujourd’hui, le chef de l’opposition de centre-droit, Aecio Neves (PSDB), l’emporterait avec 55,7% des suffrages et Dilma Rousseff n’obtiendrait que 16,6% (pour mémoire, son score face à Neves lors du scrutin présidentiel était de 51,6%). Certes, il ne s’agit que d’un sondage mais cela illustre la position très fragile de la présidente, détestée par les catégories privilégiées de la population, mais désormais rejetée aussi par les classes populaires et moyennes qui forment son électorat de base,.
Car même si le scandale Petrobras a éclaté il y a plus d’un an, les révélations sur son ampleur et sur l’implication du Parti des Travailleurs (PT) au pouvoir se sont multipliées dans la presse depuis janvier. De quoi provoquer l’exaspération de Brésiliens pourtant sans la moindre illusion sur l’intégrité de leurs politiques et échaudés par le Mensalão (un système d’achats de vote de députés qui éclaboussait déjà le PT en 2005). Une petite cinquantaine de responsables (2 gouverneurs, 22 députés, treize sénateurs) issus de plusieurs partis, dont 3 de la coalition gouvernementale (PT, PMDB et parti progressiste), sont désormais sous le coup d’une enquête judiciaire. Deux des plus hauts personnages de l’Etat, le président du Sénat, Renan Calheiros et celui de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, figurent sur la liste.
Le trésorier du PT jugé pour blanchiment d’argent
Parmi eux également, le trésorier du PT, Joao Vaccari. Lundi 23 mars, le juge de Curitiba chargé du dossier a précisé que ce dernier, ainsi que 26 autres accusés, serait jugé pour corruption et blanchiment d’argent. L’un des autres accusés est Renato de Souza Duque, ancien directeur des Services de Petrobras et acteur-clé du dossier. D’autres procès sont à venir. De quoi empoisonner pour longtemps encore le climat politique du Brésil et rendre la parole de Dilma Rousseff inaudible. Car même si celle-ci n’est pas mise en cause par la justice, le fait qu’elle ait été ministre de l’Energie de 2003 à 2010 _ et, à ce titre, présidente du conseil d’administration de Petrobras_ rendent pour beaucoup difficile d’imaginer qu’elle n’ait été au courant de rien.
Cette perte de crédibilité intervient au pire moment, alors que le pays est entré l’an dernier en légère récession et pourrait y rester, plombé par le ralentissement de la demande de son principal partenaire commercial, la Chine. Plus généralement, le pays souffre de la baisse des cours des matières premières pétrolières et agricoles, dont il est un grand exportateur. Or, c’est en grande partie le boom des matières premières dans les années 2000 qui a rendu possible le décollage du Brésil et la réduction de la pauvreté. La fin de cette époque révèle aujourd’hui les maux de l’économie brésilienne, qu’il s’agisse de la faible productivité de l’industrie ou du déficit de réformes pourtant indispensables dans les domaines de la fiscalité, de l’éducation, de la santé ou des transports. A plus de 7%, l’inflation enfle dangereusement, les déficits se creusent (6,75% de déficit budgétaire en 2014, doublé par rapport à 2013), sans parler d’un risque latent de pénurie d’électricité. Financer l’emblématique Bourse Famille ou le programme social plus récent « Minha Casa Mihna Vida » (ma maison ma vie) devient difficile. Ce dernier programme a permis de construire 1,9 million de logements depuis 2009; les besoins sont immenses mais les subventions permettant de garder le même rythme sont désormais insuffisantes. C’est l’autre grand reproche qui est fait par son camp à Dilma Rousseff : avoir promis pendant la campagne de renforcer sa politique sociale puis engager, dès sa réélection, un plan d’austérité drastique, conduit par un très orthodoxe ministre des Finances, Joaquim Levy. Durcissement de l’indemnisation du chômage, fin des subventions accordées aux entreprises d’électricité, gel des investissements publics dans les infrastructures, réduction des aides aux entreprises empruntant à la BNDES (banque de développement) ont fait partie des premières mesures, d’autres sont à venir.
Moody’s a dégradé Petrobras
La descente aux enfers de Petrobras, plus grande entreprise du pays (80 000 salariés, 10% du PIB et au moins autant des investissements brésiliens), est un autre souci. Sa perte de crédibilité sur la scène internationale en raison du scandale et, plus encore, la division par deux du prix du baril en quelques mois, ont conduit Moody’s à dégrader sa dette au rang de «spéculative». Avec un risque de contagion non négligeable au pays lui-même.
A ces facteurs variés, s’ajoute la composante personnelle de Dilma Rousseff : rigide et peu charismatique, elle manque tragiquement de la souplesse et de l’habileté politique de son prédécesseur et mentor Lula, pour négocier avec sa coalition, PMDB en tête. Résultat, ses projets de loi passent de plus en plus rarement la barrière du Congrès. Si le risque politique et juridique de destitution est quasi nul, Dilma Rousseff pourrait donc bien se voir contrainte à l’immobilisme, au moment où on attend d’elle des actions fortes. La pire nouvelle pour elle et pour le pays serait désormais une forte hausse du chômage , encore circonscrit à un niveau bas (de l’ordre de 5,5%).
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Amères perspectives pour la présidente. Pour couronner le tout, il paraitrait (dixit la presse d’opposition) que Lula ne la soutiendrait plus beaucoup et songerait surtout à se représenter en 2018. Il aurait alors 73 ans mais, vu son statut de héros national aurait toutes les chances de l’emporter. Mais ce ne sont là que supputations.
Anne Denis