Bogota se réjouit de l’accord de libre échange avec les Etats-Unis
Après des années de blocage, le traité de libre échange américano-colombien vient d’être ratifié au Capitole. La Colombie en attend un coup de fouet pour son économie même si le secteur agricole, notamment, risque de souffrir.
Le Congrès américain a fini par approuver, le 13 octobre dernier, trois accords de libre-échange avec la Corée du Sud, le Panama et la Colombie. Trois accords que le président Barack Obama, qui cherche par tous les moyens à relancer la croissance en berne des Etats-Unis , va promulguer au plus vite, et sur lesquels il compte pour stimuler les exportations « made in America » (une hausse de 13 milliards de dollars est attendue après la mise en oeuvre de ces trois accords) et pour faire baisser le taux de chômage. En ce qui concerne la Colombie, 80% des exportations américaines de biens (produits pétroliers exceptés) verront leurs droits de douane supprimés. A Bogota, le président Juan Manuel Santos a salué triomphalement cet accord qui devrait entrer en vigueur d’ici un an. Il en attend un point de PIB de croissance supplémentaire par an, la création de 250.000 emplois, une augmentation des exportations d’au moins 6%, mais aussi « une hausse significative des investissements dans les infrastructures, l’industrie et le développement rural ».
Victoire politique pour Santos
«C’est une grande victoire, non seulement économique, mais aussi politique pour Juan Manuel Santos», estime le stratège d’une grande banque, qui rappelle que son prédécesseur, Alvaro Uribe, a bataillé pendant plus de 7 ans pour cet accord signé en … 2006. « Mais c’est Santos qui, bien que considéré comme moins proaméricain qu’Uribe _ même s’il était son ministre de la Défense_ a obtenu cette ratification. Il a su prendre du recul par rapport aux questions de sécurité et donner des gages en matière de droits de l’Homme. Même si beaucoup, évidemment, reste à faire ». Les violences dans ce pays qui a souffert de plus de 40 ans de guerre civile, en particulier les exactions commises à l’encontre des syndicalistes, étaient l’un des obstacles à la ratification de l’accord. Une partie de la gauche américaine s’est d’ailleurs insurgée contre cette ratification, estimant ne constater aucune réelle embellie des conditions de travail et des droits syndicaux colombiens. Arrivé au pouvoir en août 2010, le gouvernement Santos a pourtant mis sur pied un programme de lutte contre les violences antisyndicales, dont les résultats ne sont certes pas encore tangibles (la Centrale unitaire des travailleurs a recensé 38 assassinats de syndicalistes et enseignants en 2010, contre 48 en 2009 selon le dernier rapport de la Confédération syndicale internationale).
Santos a surtout réussi à faire adopter par le Congrès il y a quelques mois une très ambitieuse loi agraire destinée à rendre leurs terres aux centaines de milliers de familles déplacées par le conflit. Cette initiative, qu’il est également trop tôt pour évaluer, a sans doute joué dans le feu vert des démocrates américains. Elle contribue en effet à redorer l’image d’un pays longtemps considéré comme l’un des plus dangereux au monde, gangrené par une guerilla financée par le narcotrafic et les kidnappings et dont l’ancien président Uribe était accusé de liens avec les paramilitaires. Cette image s’est néanmoins déjà considérablement améliorée en 10 ans grâce à la lutte sans merci de l’armée contre les FARC, qui a rendu une bonne partie du pays relativement sûre.
Investment grade
La plupart des dirigeants de la Colombie voient dans cet accord une opportunité majeure pour l’économie de leur pays. D’abord parce qu’il change la donne avec Oncle Sam. Leurs relations commerciales étaient jusqu’ici régies par l’ATPDEA (Ley de Preferencias Arancelarias Andinas y de Erradicación de Drogas), qui autorisait un accès préférentiel de nombreux produits mais devait être renouvelé tous les 3 ou 4 ans, interdisant de ce fait toute visibilité à long terme aux secteurs exportateurs comme par exemple celui, stratégique, des fleurs. Pour Leonardo Bravo, économiste et associé du cabinet conseil SF Partners à Bogota, l’accord avec Washington apporte donc aux milieux d’affaires « une précieuse stabilité, très favorable aux investissements». Il tombe à pic dans un pays en pleine renaissance économique, qui a su limiter sa dette publique autour de 45% du PIB et devrait enregistrer une croissance de l’ordre de 5% cette année. Performances saluées il y a 4 mois par les trois principales agences de notations qui lui ont octroyé le sacro-saint «investment grade ». « Les investissements directs étrangers ont triplé en 5 ans, à 10 milliards de dollars en 2010 », ajoute-t-il. Pour le seul premier trimestre 2011, les IDE représentaient déjà plus de la moitié de ceux enregistrés sur toute l’année 2010, selon le ministère du Commerce.
« Avec cet accord, poursuit Leonardo Bravo, nous entrons dans le club des pays qui ont un traité de libre échange avec les Etats-Unis, ce qui nous rend très attractif. La Colombie était isolée, elle est aujourd’hui sous les spotlights» . Des compagnies asiatiques, chinoises notamment, peuvent désormais considérer le pays comme une base d’exportation vers l’Amérique du Nord, suggère-t-il. Autre espoir des autorités : que les hésitants suivent l’exemple de la première puissance mondiale, démocrate de surcroît, et s’engagent à leur tour dans le libre échange avec la Colombie. Telle l’Union européenne qui a fini par signer l’an dernier un accord avec le tandem Colombie-Pérou, mais que le Parlement européen rechigne à ratifier. Mais aussi la Chine, le Japon et , bien sûr la Corée, avec lesquels Bogota discute. La Colombie dispose déjà d’accords de libre échange effectifs avec le Canada, le Chili et le Mercosur.
Impact négatif pour certains secteurs
Si les dirigeants colombiens se réjouissent du coup de fouet attendu de l’accord sur les investissements, le tourisme et même les PME qui pourront acheter leurs équipements à moindre prix, d’autres s’inquiètent de ses répercussions négatives sur l’agriculture et sur des pans entiers de l’industrie. Leonardo Bravo balaie l’objection : «Les céréales et le riz côté agricole et, côté industriel, l’automobile et les plastiques principalement, risquent certes d’être pénalisés par la concurrence des produits américains. Pour ces produits, les taxes ne seront donc démantelées que progressivement, en 5 ou 10 ans, pour leur laisser le temps de s’ajuster ». A vérifier lors de la mise en oeuvre effective de l’accord.
Etonnant tout de même, cette confiance absolue de Bogota dans le libéralisme, en ces temps de crise mondiale où les tensions protectionnistes se font de plus en plus vives. Même le Brésil a récemment décidé de taxer plus fortement les importations de voitures pour protéger son industrie. «Le Brésil peut compter sur son très vaste marché intérieur, rétorque Leonardo Bravo. Avec 46 millions d’habitants, celui de la Colombie est plus restreint elle doit donc miser davantage sur le libre échange. Elle dispose en revanche d’un atout important, celui d’être au coeur d’un marché d’Amérique centrale de 100 millions de personnes. De toute façon, conclut-il, la Colombie a intérêt à se spécialiser dans les services et les nouvelles technologies, bien plus que dans l’industrie ».Rendez-vous dans quelques années pour tirer un premier bilan de ce modèle colombien en plein devenir.