Histoire très critique d’une dette
L’Argentine est sous la menace d’un second défaut depuis que, le 16 juin, la Cour suprême américaine a rejeté son appel contre sa condamnation à rembourser 1,33 milliard de dollars à des fonds spéculatifs ayant refusé la restructuration de sa dette. Acculé, le pays a reçu de nombreuses marques de soutiens, notamment de la France et de Joseph Stiglitz. L’avocat franco-argentin Santiago Muzio de Place dresse, lui, un bilan sévère de la responsabilité des gouvernements successifs dans l’endettement galopant de ce pays pourtant si riche.
Par SANTIAGO MUZIO DE PLACE, avocat inscrit aux Barreaux de Lyon et de Buenos Aires
« En 1822 le Congrès de Buenos Aires avait autorisé un endettement, auprès de la banque londonienne Baring Brothers, d’un million de livres sterling, à un taux annuel de 6%, desquels 560.000 livres seulement sont arrivées à Buenos Aires.
Le manquant, soit presque la moitié du prêt, a disparu entre la rémunération des commissions d’intermédiaires et des politiciens de l’époque.
Les fonds reçus n’ont pas été employés conformément à leur destination pour des ouvrages d’intérêt public mais pour financer le coût de la guerre de 1826 avec le Brésil.
Lorsque le prêt a été soldé, 82 ans plus tard en 1904, l’Argentine avait remboursé environ 8 fois les sommes reçues.
Le 16 juin 2014 la Cour Suprême des Etats-Unis a débouté l’Argentine de sa demande de reformation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel des Etats-Unis pour le deuxième circuit, qui avait confirmée la décision du juge Thomas Griesa.
L’Etat argentin doit en conséquence payer, avant la fin du mois, 1.330 millions de dollars, outre intérêts, à treize investisseurs entre lesquels figurent les fonds spéculatifs Aurelius NML et Elliot Management.
Dans un communiqué de presse diffusé le 18 juin, le Ministre d’économie argentin, Axel Kicillof, a indiqué que « les clauses pari passu empêchent l’Argentine de payer le 30 juin prochain l’échéance de la dette des créanciers restructurés, à moins que, en même temps, la totalité du montant réclamé par les fonds vautours (environ 15.000 millions de dollars) soit aussi payé ».
A dix sept jours seulement après avoir scellé un accord avec le Club de Paris pour rembourser 9,7 milliards de dollars, dus après le premier default de 2001, l’Argentine semble s’acheminer vers un second.
L’histoire, dont on ne connaît pas la fin, a néanmoins les mêmes causes.
Fidèle à sa conception manichéenne, le gouvernement populiste de Madame Kirchner rejette la faute de la situation actuelle sur des fonds d’investissements, surnommés fonds vautours.
Les charognards de la finance internationale seraient à l’origine des maux qui dégradent l’économie argentine.
La réalité est plus complexe.
L’Argentine a connu, et continue de connaître, une caste politique qui s’enrichit aux dépens du pays et de ses habitants.
L’histoire de la dette publique argentine est l’histoire d’une longue collaboration entre des hommes d’affaires et des hommes d’Etat très soucieux de leur intérêt individuel, en dépit du bien commun.
En 1976 la dette publique argentine n’atteignait pas les 8 milliards de dollars.
Lorsque Alfonsín parvient au pouvoir en 1983, la dette est d’environ 45 milliards.
Elle ne cessera d’augmenter sous les gouvernements suivants.
En 1989 elle s’élève à 65 milliards, pour atteindre presque 122 milliards de dollars sous la présidence de Menem.
Au moment du default de 2001, la dette publique argentine est de 132.143 millions de dollars.
Dans une décision rendue le 13 juillet 2000 le juge fédéral argentin Jorge Ballesteros qualifie d’illégale une partie considérable de la dette publique argentine compte tenu des irrégularités démontrées et de l’arbitraire avec lequel était contracté, par les plus hautes autorités politiques et économiques de l’Argentine, des emprunts à l’étranger.
La décision a été transmise, avec l’ensemble des expertises réalisées, au Congrès argentin « pour que celui-ci adopte les mesures nécessaires pour négocier la dette publique qui a été augmenté de manière grossière depuis 1976 par l’intermédiaire d’une politique économique qui a mis le pays à genoux et qui n’avait que pour finalité de bénéficier et maintenir des sociétés et affaires privées –nationales et étrangères-, au détriment des sociétés de l’Etat… ».
Le gouvernement de Madame Kirchner, prompt à rejeter la faute sur autrui, a eu la possibilité de discuter la légitimité d’une partie de la dette publique argentine.
Rien n’a été fait.
Les argentins paieront, une nouvelle fois, pour des dettes contractées par des vautours insouciants ».
Santiago Muzio de Place
Lire aussi l’analyse de Nouriel Roubini dans Les Echos