Petrobras, mafia à la brésilienne
Engluée dans un scandale de corruption tentaculaire, la compagnie pétrolière nationale poursuit sa chute. Toute la direction du groupe a démissionné aujourd’hui, avant un conseil d’administration programmé vendredi 6 février. L’affaire aura de lourdes retombées économiques et politiques.
L’image est encore dans toutes les mémoires, celle en 2007 d’un Lula triomphant, coiffé du casque et vêtu de la combinaison orange des employés de Petrobras, criant « Dieu est brésilien ! » pour saluer l’avenir radieux que la découverte d’énormes gisements pétroliers en eaux profondes promettait au Brésil. Son héritière, l’actuelle présidente Dilma Rousseff s’est, elle aussi, abondamment mise en scène au milieu des ouvriers de Petrobras, récupérant volontiers le symbole de puissance nationale et de conquête que symbolisait la compagnie pétrolière (contrôlée par l’Etat mais cotée en Bourse), surtout depuis sa spectaculaire augmentation de capital de 70 milliards de dollars en 2010, qui la propulsait parmi les majors mondiales du pétrole.
L’effet boomerang n’en est que plus cinglant aujourd’hui. Depuis septembre dernier, Petrobras (Petroleo Brasileiro) est au centre d’un vaste scandale de corruption dont les méandres se dévoilent progressivement : pots de vin versés par les plus grosses entreprises de BTP pour gagner des contrats, surfacturations et détournements de fonds, soit au profit de membres de Petrobas, soit à celui de parlementaires, la plupart appartenant au Parti des Travailleurs (PT) au pouvoir. Une quarantaine de personnes (membres de la compagnie et entrepreneurs) sont déjà poursuivies, un chiffre qui n’inclut pas les responsables politiques, dont le nombre et les identités sont encore couverts par le secret de l’enquête. Selon le parquet, au moins 4 milliards de dollars ont été détournés en 10 ans, mais ce chiffre évoluera sans doute au cours de l’enquête.
34 milliards de dollars de surcoûts dans 31 projets
Mercredi 28 janvier, la présidente de la compagnie, Graça Foster, avait annoncé qu’elle allait devoir vendre pour trois milliards de dollars d’actifs en 2015, réduire la voilure du plan d’investissement 2015-2019 et limiter ses projets d’exploitation au « strict minimum ». En présentant avec beaucoup de retard les comptes non audités du troisième trimestre 2014, elle avait aussi annoncé le report du paiement du dividende, faute de pouvoir évaluer l’impact du scandale sur les résultats. Autre information révélée le même jour, l’estimation de 34 milliards de dollars de surcoûts dans 31 projets passés en revue par la justice, sans que puisse encore être isolé ce qui est lié à la corruption et ce qui ne l’est pas. Un chaos aggravé par le fait que, faute de bilan officiel et audité depuis la mi-2014, Petrobras n’a plus accès aux financements internationaux pour financer sa dette de 140 milliards de dollars.
La situation est devenue tellement explosive que la présidente brésilienne Dilma Rousseff a dû se résigner ce mercredi à accepter la démission de Graça Foster (et celle de ses 5 directeurs). Celle-ci est pourtant l’une de ses proches, qui a fait toute sa carrière chez Petrobras et qu’elle avait placée à la tête du groupe en 2012. Graça Foster n’est, pour l’instant, pas directement soupçonnée d’avoir trempé dans le réseau de corruption, mis en place bien avant son arrivée, mais il était devenu clair pour tous que son départ était « inévitable ». Dès les premières rumeurs de démission mardi, l’action de Petrobras qui s’était littéralement effondrée depuis 2012 (de plus de 65%, soit quelque 70 milliards de dollars de capitalisation partis en fumée) a d’ailleurs rebondi. Une nouvelle direction doit être désignée vendredi, à l’issue d’un conseil d’administration.
Dilma Rousseff directement mise en cause
L’ampleur des conséquences économiques et politiques de cet énorme scandale est encore difficile à appréhender. Petrobras, le moins rentable des grands groupes pétroliers, est aussi la plus grande entreprise du pays avec près de 80 000 salariés. Alors qu’elle est déjà affaiblie par la baisse des cours du brut, ce réseau de corruption est pour elle dévastateur en termes financiers mais aussi d’image. D’autre part, compte tenu de ses ramifications parmi une vingtaine de grosses entreprises du pays, l’affaire a de quoi effrayer les investisseurs.
Au plan politique, Dilma Rousseff est désormais en grand danger. Au Congrès, l’opposition est en train de mettre en place une nouvelle commission d’enquête et vise probablement sa destitution, même si elle s’en défend. Il faut dire que la présidente brésilienne fut ministre de l’énergie de 2003 à 2010 et donc à ce titre présidente du conseil d’administration de Petrobras. Jusqu’à présent, elle s’est vigoureusement défendue, affirmant notamment que des décisions ont été prises sur la base de rapports erronés d’un directeur corrompu. Concernant un scandale dans le scandale _ une raffinerie américaine de Pasadena rachetée à un prix prohibitif à une filiale d’Albert Frère_ Dilma Rousseff est aussi en première ligne, pouvant être accusée, sinon de malhonnêteté, au moins de négligence,voire d’incompétence.
Il y a dix ans, éclatait le « Mensalão », scandale des « mensualités » alors considéré comme le plus énorme réseau de corruption au sein de la classe politique brésilienne : un système institutionnalisé de pots de vin versés par des membres du PT à des parlementaires pour acheter leur vote. José Dirceu, ex bras droit de l’ancien président Lula (2003-2011), a été condamné dans le cadre des procès qui se sont prolongés jusqu’en 2012, et purge actuellement une peine de 7 ans de prison. Il semble également impliqué dans le scandale Petrobras.
Miraculeusement, Lula avait été entièrement épargné par les procès du Mensalão. Pas évident, cette fois-ci, que Dilma Rousseff s’en sorte aussi bien. D’autant qu’elle a déjà essuyé de nombreuses manifestations hostiles à son maintien au pouvoir. Dans l’entourage de l’exécutif cependant, on avance qu’elle devrait échapper à la destitution grâce aux divisions du Congrès.