Démission du Premier ministre péruvien sur fond de conflit minier
Le président Humala s’est séparé de son premier ministre Salomon Lerner et d’une dizaine de ministres. Certains crient déjà à la radicalisation à gauche mais ce remaniement est surtout lié à des divergences internes au sujet du conflit minier qui secoue la région de Cajamarca depuis des semaines.
La démission le 10 décembre dernier du Premier ministre péruvien Salomon Lerner, homme d’affaires et ami du président Ollanta Humala, et son remplacement par Oscar Valdés, un ancien militaire à la retraite qui était déjà ministre de la Défense, continuent de faire des vagues. La crainte d’une radicalisation refait surface , et les opposants au président parlent de « militarisation » du gouvernement (le président est lui-même un ancien militaire). Dans la foulée, dix ministres (sur dix-neuf) ont été remplacés. Pourtant, dans La Republica, l’écrivain Mario Vargas Llosa a jugé le remaniement « légitime » et ces critiques « exagérées, faites par goût de la truculence ». On ne peut pourtant pas soupçonner le Prix Nobel de littérature (qui avait estimé lors de la présidentielle de juin que l’alternative Humala-Keiko Fujimori revenait à choisir entre le cancer et le sida) de sympathie excessive à l’égard du président nationaliste de gauche.
Après son élection, celui-ci s’était entouré d’un gouvernement très modéré, mais éclectique, destiné à adoucir son image radicale auprès des investisseurs. De source gouvernementale, on explique que l’objectif du remaniement est donc de mettre en place un gouvernement «plus cohérent » . Mais la plupart des observateurs font le lien direct avec le conflit en cours dans la région de Cajamarca, au nord du pays, au sujet du méga projet d’extraction d’or à Conga. Selon les écologistes, ce projet menace l’alimentation en eau de la région. Il prévoit notamment de remplacer trois lacs d’altitude par des réservoirs artificiels. Mené par l’Américain Newmont, le projet Conga est le plus gros investissement minier au Pérou (4,8 milliards de dollars). Il avait été validé en 2010 sous le gouvernement Toledo. Fin novembre, la contestation dans la région a pris de l’ampleur, avec manifestations monstres et parfois violentes, grèves, blocages des routes, des écoles, des hopitaux etc. Et il semble que les divergences entre le Président et son Premier ministre sur la méthode pour résoudre le conflit soient devenues insurmontables, le second continuant de privilégier la négociation, contrairement au premier.
Nouvelle expertise en vue du projet Conga
Salomon Lerner s’est en effet directement impliqué, négociant pendant tout le premier week-end de décembre avec les chefs de file de la contestation sans parvenir à un accord. C’est au lendemain de cet échec qu’Ollanta Humala a décrété l’état d’urgence dans plusieurs districts de la province de Cajamarca, autorisant ainsi le déploiement de l’armée aux côtés de la police pour le maintien de l’ordre. Le jour suivant, Lerner démissionnait.
Cela dit, Humala et sa nouvelle équipe semblent vouloir rester prudents sur ce dossier explosif. Il est, de fait, partagé entre le souci de ne pas décourager les investisseurs miniers (auquel il a d’ailleurs récemment imposé une surtaxe pour financer ses programme sociaux) et celui de ne pas s’aliéner les populations indigènes et pauvres qui l’ont porté au pouvoir. Vendredi, après 12 jours, il a levé l’état d’urgence et promis qu’un expertise internationale serait menée pour revoir et affiner l’étude d’impact déjà validée. De plus, une délégation de ministres se rendra ces jours-ci à Cajamarca pour discuter de l’impact du projet avec ses opposants.
Ce dossier est le véritable baptême du feu d’Humala. Il va permettre de tester sa capacité à gérer les conflits sociaux et environnementaux, très nombreux dans le pays, sans décourager les investissements miniers colossaux, alors que le secteur représente 60% des exportations péruviennes. Toutes les grandes compagnies se ruent aujourd’hui sur le Pérou, non sans garder un oeil méfiant sur le président, même si celui-ci a renoncé au très radical «ethnocacérisme » de son père et tente aujourd’hui de prouver qu’il a définitivement troqué le style Chavez pour la mode Lula.